Le Parlement européen a besoin de Strasbourg
L'adoption du calendrier des sessions 2012-2013 par le Parlement européen a suscité de nombreuses réactions tant des autorités municipales et régionales alsaciennes que du gouvernement français et des parlementaires européennes, parmi lesquelles celle exprimée par ma collègue Sylvie Goulard dans les pages du Monde. Sensible à ses arguments, j'ai tenu à apporter quelques précisions tirées de ma longue expérience de la vie parlementaire européenne.
Une fois n'est pas coutume, la démonstration établie dans ces pages par Mme Goulard à propos de la défense du siège du Parlement européen ne m'a convaincue que partiellement. A en croire mon estimée collègue, que j'ai d'ailleurs beaucoup de plaisir à côtoyer, les maladresses répétées de gouvernement français actuel vis-à-vis de l'institution européenne élue au suffrage universel sont de nature à saper la légitimité de son combat pour le maintien de son siège à Strasbourg.
Mes décennies de présence dans la capitale alsacienne lors des sessions parlementaires me portent cependant à croire que là n'est pas l'essentiel et qu'une conduite "irréprochable" des autorités pèse de peu de poids face à une réalité toute prosaïque: la défense du siège de Strasbourg n'a jamais été une priorité stratégique de la politique française, tous gouvernements confondus. Malgré les beaux et généreux discours, les actes n'ont suivi que rarement. Ces décennies et années écoulées ont été rythmées pas trop de déceptions, de velléités et d'atermoiements face à la montée en puissance de Bruxelles, au point que pour beaucoup cette dernière est aujourd'hui la règle.
L'idée qu'une ville de province française, aussi symbolique soit-elle, puisse devenir une capitale européenne n'a pas conquis les esprits parisiens. Et s'il n'y avait eu l'engagement décisif de quelques personnalités comme d'un Valéry Giscard d'Estaing et d'une Catherine Trautmann pour enfin doter cette institution de locaux qui lui soient propres, parions que le siège de Strasbourg aurait été délaissé depuis longtemps.
Alors que le Parlement européen vient d'outrepasser ses droits en votant un calendrier pour 2012 et 2013 contraire aux dispositions du traité, le gouvernement français semble enfin sortir de sa torpeur en attaquant cette décision devant la Cour de justice européenne. Le gouvernement du Grand-Duché de Luxembourg, mon pays, hôte du secrétariat général du Parlement européen, soutiendra la démarche, qui, il y a quinze ans déjà, en des circonstances similaires, avait abouti à un jugement sans appel, obligeant le Parlement à faire marche arrière. Le traité n'ayant pas été modifié sur ce point, il serait surprenant que les juges de Luxembourg opèrent un revirement sur la question. Quoiqu'il en soit, le verdict sera très attendu.
L'invocation du droit face à une décision prise par la majorité des députés, qui traînent de plus en plus ouvertement les pieds pour se rendre à Strasbourg est-elle légitime sur le plan politique? Est-il défendable par ailleurs que le lieu de Strasbourg leur soit imposé pour leurs réunions plénières mensuelles?
Je crois bien que oui pour deux raisons. La première tient au fait que l'Union européenne est encore et d'abord une union des Etats avant d'être une union des peuples. Dans ces conditions, il me paraît naturel que des domaines de décisions restreints mais essentiels restent du seul ressort des Etats qui composent l'Union. Si celle-ci adoptait à terme - perspective qui s'éloigne il est vrai - une structure fédérale achevée, les règles du jeu seraient naturellement modifiées en conséquence.
La seconde tient au constat que la question du siège du Parlement européen ne peut être considérée que comme l'élément d'un tout, à savoir l'ensemble de sièges des institutions européennes. Que l'équilibre existant soit le fruit des circonstances historiques et même des hasards- Strasbourg fut choisi au début des années 50 parce que la capitale alsacienne disposait de l'infrastructure du Conseil de l'Europe permettant aussi d'accueillir les parlementaires de la Communauté européenne contrairement à Luxembourg- ne permet pas à mes yeux d'en isoler un élément pour polémiquer sans fin. D'ailleurs je ne suis pas sûre que la capitale de Bruxelles occupe encore une position si enviable, car le délabrement institutionnel de la Belgique porte en germes de nombreuses déconvenues qui pourraient rebattre les cartes.
La légitimité historique, le droit ou la politique ne peuvent toutefois faire fi des contingences matérielles. Sur ce plan, l'absence de progrès significatifs depuis un demi-siècle a quelque chose de profondément décevant. L'accessibilité de Strasbourg reste un problème non résolu. Les quelques améliorations ponctuelles n'ont modifié la donne qu'à la marge. Comment empêcher un député européen qui consacre plus d'une demi-journée à venir en Alsace de se plaindre à bon droit? J'ose espérer que l'heure du réveil a enfin sonné pour les autorités françaises.
Aussi difficile soit-il, le combat pour Strasbourg reste un combat légitime, non pas parce qu'il flatte l'ego français mais bien parce qu'il est bien porteur d'une vision de l'Europe, fière de ses racines et de son histoire, et éloignée de l'anonymat bureaucratique.
Astrid Lulling
questeur,
députée européenne
Donnerstag, 7. April 2011
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